Conférence à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine – Introduction de Guy Amsellem (Vidéo)
Vidéo de la conférence
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Introduction/portrait de Christian de Portzamparc par Guy Amsellem
Christian de Portzamparc est né en 1944. Architecte urbaniste, diplômé de l’école des beaux-arts en 1969, il a fondé son agence en 1980.
Grand Prix national de l’architecture en 1993, Grand prix de l’urbanisme en 2004, il fut aussi le premier architecte français à obtenir le Pritzker Prize en 1994 et le premier titulaire de la chaire dédiée à la « création artistique » au Collège de France, en 2006.
Nous sommes toujours très heureux d’accueillir Christian de Portzamparc, dans cette Cité de l’architecture, qu’il n’a cessé d’accompagner depuis son ouverture, voici presque dix ans :
- d’abord, lors de l’exposition inaugurale « Rêver la ville » que nous lui avions consacré, en mars 2007, à l’occasion de l’ouverture de nos galeries d’expositions temporaires;
- puis pratiquement chaque année, depuis lors, au gré des conférences qu’il a données sur de nombreux sujets, qu’il s’agisse du Grand Paris, du vide en architecture ou des rapports ville-nature, mais aussi à l’occasion d’expositions temporaires, comme « Revoir Paris » de Schuiten et Peeters, ou encore l’an dernier, dans le cadre du Grand Prix de l’AFEX.
Nous avons saisi l’occasion de la récente parution de son livre Les dessins et les jours – L’architecture commence avec un dessin, publié aux éditions Somogy, pour lui adresser cette nouvelle invitation. Livre magnifique, avec pour fil conducteur le dessin, qui donne des clés essentielles pour comprendre une oeuvre, la replacer dans sa généalogie, en
analyser les mythologies fondatrices. Livre qui, au-delà de son iconographie somptueuse, contient un texte passionnant, qui formule des réflexions essentielles sur le sens de l’architecture.
C’est de ce beau texte, que je veux dire quelques mots, avant de lui donner la parole.
Rassurons tout d’abord les admirateurs de Proust, auquel le titre du livre rend hommage : ce n’est pas du moi social de Christian de Portzamparc qu’il est question dans ce texte, mais de son moi créateur ; pas de réhabilitation de Sainte-Beuve en perspective, donc. Car la vérité d’un architecte se trouve
dans ses constructions. Pas davantage de fantasme du créateur « moins son oeuvre » (1), comme écrivait Roland Barthes, ni d’espoir symétrique d’une architecture sans auteur.
Christian de Portzamparc ne craint pas de dire « je ». Non pour montrer comment il faut faire, mais pour expliquer comment, lui, il fait.
« Il n’y a pas de chemin, le chemin se construit en marchant » (2), disait le poète espagnol Antonio Machado. Il est vain, en effet, de chercher dans une détermination ou un destin, le fil conducteur de la vie d’un créateur.
Précisément, Christian de Portzamparc, dans son livre, nous propose de marcher dans ses pas, pour retracer l’aventure singulière d’une création. Bien sûr, passer de la vie biologique à la vie racontée, suppose une série d’opérations de tri, de classement, de hiérarchisation, par le filtre desquelles la série aléatoire et discontinue d’évènements qui constituent la vie, accède au sens.
L’ordre chronologique de la biographie est à la fois succession temporelle et cheminement logique. Il s’appuie sur une origine, un projet, un accomplissement, un itinéraire qui suppose que la vie a un sens.
Rien de cela dans le livre de Christian. Ni destin, ni dessein, seulement une trajectoire et beaucoup de dessins. Plutôt qu’une autobiographie, une réflexion personnelle sur le sens d’une oeuvre.
« Le dessin est la langue de l’architecture », écrit Christian de Portzamparc.
Dessiner, c’est capter un morceau du temps, c’est penser en se jouant du langage. En dénonçant l’illusion de l’expérience sensible, en séparant le corps et l’esprit, nous avons fait fausse route, écrit-il.
Christian de Portzamparc ne méconnaît pourtant pas l’importance du langage. Il a lu Lacan. Il sait que le monde des mots créé le monde des choses. Lors d’une enquête avec une équipe de psychosociologie dans un Grand ensemble, derrière l’habitant qui se plaint, il entend le plein et sa présence obsédante dans notre cadre de vie.
Depuis l’Antiquité, la ville traditionnelle, avec ses îlots et ses rues, était organisée à partir des vides. Dans la ville moderne, qui a répudié la rue, on ne voit plus que des pleins.
« C’est dans un vide que j’habite », dit Lao-Tseu, qu’aime à citer Christian de Portzamparc. Le vide n’est pas un rien. Il est, au contraire, saturé d’espace. Il permet au sens de s’élaborer ; il est un opérateur d’intelligibilité. On pourrait dire la même chose de la monochromie de ses premières réalisations.
« Le blanc sonne comme un silence intelligible » (3), disait Kandinsky. Celui des édifices de Portzamparc est aussi architectural que le monochrome de Malevitch est pictural, ou que le silence de John Cage est musical. Cette pensée du vide génère le projet fondateur des Hautes Formes, projet qui articule l’architecture contemporaine à la ville existante.
Avec sa manie de la table rase, la modernité s’est trompée. Pour autant, il ne saurait être question de revenir à l’âge classique. La ville contemporaine, duelle, hybride, est le fruit d’un double héritage qu’elle se doit d’assumer :
- celui de l’âge I, des villes avec leurs rues et leurs espaces en creux ;
- celui de l’âge II, des villes sans rues, de la Charte d’Athènes, des cités, des barres, de la discontinuité spatiale.
Mais assumer un héritage, ce n’est pas renoncer à le faire évoluer. L’ambition transformatrice de Christian de Portzamparc trouve, dans cet âge III de la ville qui est le nôtre, de multiples terrains d’exercice.
La forme d’abord, qu’il considère non comme un enfermement stylistique, mais comme une ressource pour l’architecture.
Elle est un moyen de créer du multiple, du pluriel, de faire exploser la loi de l’Un, la loi de tous les « mono » (linguisme, logisme, fonctionnalisme), cette loi du même, du standard, de l’autorité, qui ne tolère nul autre.
L’ornement ensuite, que le XXe siècle avait considéré trop rapidement comme inutile, somptuaire, suspect.
Peut-être faut-il voir dans l’impossibilité statutaire d’un « ornement pour tous », le fondement de la tradition anti-décorative des avant-gardes historiques.
Le dénuement, par soustraction ou par ripolinage, serait ainsi au service de la désintoxication du peuple. La beauté deviendrait celle de la rationalité technique.
Mais pour arriver à la pureté, il faut parfois mentir. Le mensonge du dit est alors nécessaire, pour parvenir à la vérité du dire : c’est le « mentir vrai » dont parle Aragon (4), celui du détour par la création.
Souvenons-nous de Baudelaire, dans son Éloge du maquillage : « Je suis conduit à regarder la parure comme un des signes de la noblesse primitive de l’âme humaine.» (5)
Si l’on voit dans l’ornement l’expression de la culture, nul doute que la tour LVMH à New York, avec son travail sur les prismes, et l’hôtel de la Renaissance, avenue de Wagram à Paris, avec ses verres bombés, sont des oeuvres non seulement sculpturales, mais ornementales.
Le rapport à la monumentalité est une autre caractéristique du travail de Christian de Portzamparc.
Françoise Choay (6) nous l’a rappelé : le monument est présent dans toutes les sociétés humaines. C’est un universel culturel, qui remplit une fonction mémorielle, permet de s’identifier, mais aussi de signaler, comme l’indique son étymologie, puisque le mot provient du verbe latin monere qui signifie avertir.
Dès son premier édifice, le château d’eau végétalisé de Noisiel à Marne-la-Vallée, jusqu’à la Cité de la musique ou la Philharmonie de Luxembourg, les créations de Christian de Portzamparc ont posé cette question du rapport au monument.
« Toute architecture engage une vision de la ville », écrit-il.
Son travail de réhabilitation de la rue en est le meilleur exemple.
Les Modernes, rappelle-t-il, ont oublié que la rue n’est pas seulement une circulation, mais qu’elle constitue aussi la base de l’habiter, qu’elle est le symbole de la respublica, de cet espace public qui, selon Habermas, est au fondement de la démocratie.
L’îlot ouvert, que Christian de Portzamparc théorise dans son projet pour la ZAC Masséna en 1994, permet d’accueillir la diversité des programmes,
d’élargir la vue, de faire passer la lumière, de préserver la flexibilité du futur.
Il est accueillant à la coexistence des époques, à l’aléatoire, à la diversité des « styles ».
L’îlot ouvert est aussi une forme, un bloc perforé, un parallélépipède, dont les multiples anfractuosités permettent de créer un véritable paysage intérieur.
Cette pensée d’une continuité de l’architecture, à ses différentes échelles, Christian de Portzamparc en avait donné une magnifique illustration, dans la conférence qu’il avait donnée, ici même, voici un an, à l’occasion de l’attribution du Grand Prix AFEX 2014, à son projet pour la Cité des Arts, de Rio de Janeiro.
Il nous avait montré sa capacité à passer, avec maestria, de la résolution du détail d’une poignée de porte, à la façon de faire dialoguer son édifice avec le site, à se mesurer avec la géologie et le réseau de transport routier, à travers la notion de « véranda urbaine ».
On a parfois qualifié Christian de Portzamparc de « classique ».
Pour ma part, j’entends ce terme, non dans sa référence à la fidélité à une époque, à une tradition ou à un vocabulaire, mais plutôt dans le sens qu’on lui donne dans les classes d’école : celui d’un architecte qui nous instruit et qui mérite, à ce titre, d’être enseigné.
Dans son roman Meurtre à Byzance, Julia Kristeva (7) fait joliment dire à l’un de ses personnages : « Je me voyage ».
Le double programme de cette devise – être une question pour soi-même, mais aussi faire du déplacement sa propre patrie – me semble parfaitement s’appliquer à la démarche de Christian de Portzamparc.
Je termine ces quelques mots d’introduction en lui empruntant l’une des toutes dernières phrases de son texte : « Ce qui nous meut le plus ardemment estune quête dont nous ne parlons pas… Son nom est tabou : la beauté. »
Notes :
(1) Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Seuil, 1995.
(2) Antonio Machado, Champs de Castille (1917).
(3) Kandinsky, Du Spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, Paris, Folio, 2008.
(4) Aragon, « Le mentir-vrai », (1964), in. Le mentir-vrai, Paris, Folio, 2002.
(5) Charles Baudelaire, Le peintre de la vie moderne (1863).
(6) Françoise Choay, Le patrimoine en questions, Paris, Seuil, 2009.
(7) Julia Kristeva, Meurtre à Byzance, Paris Fayard, 2004.